Yumi est installé confortablement dans son canapé. Il tient la zapette dans sa main, les jambes et les pieds posés sur la table basse devant lui.
Son corps a adopté les formes des coussins habitués à le recevoir, à moins que ce ne soit eux qui aient adopté ses formes.. . Ils sont comme moulés l’un à l’autre.
Son cerveau, au contact des images rapides, bruyantes, voire assourdissantes de l’écran, se cotonne peu à peu dans un autre rythme et semble ralentir sa course effrénée aux pensées.
Ses yeux freinent leur recherche d’informations, les muscles se détendent doucement et c’est comme si une part de lui s’abandonnait totalement dans ce confort sécurisant.
Ses paupières ont ralenti leur va-et-vient automatique.
C’est incroyable ce que le corps est capable de produire au-delà de notre vigilance et de notre contrôle. Les organes s’alimentent d’eux-mêmes, le
Cœur bat la vie sans qu’on ne le lui demande, la salive est absorbée des centaines de fois sans que cela ne nous préoccupe aucunement.
Yumi est loin de toutes ces considérations. Il semble presque somnoler...
Soudain, le canapé qui accueille ses fesses depuis tant d’années, avec loyauté et ferveur, semble se dérober sous lui.
Yumi s’accroche avec force à l’un des accoudoirs. Mais voilà que son corps s’engouffre dans le vide qui s’est crée sous lui.
Il a l’impression qu’il chute, qu’il s’effondre.
La peur est dans son ventre, son cœur martelle bruyamment dans sa tête.
Il Pense qu’il va mourir très certainement, c’est ce que peut provoquer ce genre de perte de repères inattendu et brutal. Ses pensées s’emballent...
Et puis ... pause. Comme si la bobine du film s’était enrouée dans la machine...
Le voilà accroché entre deux mondes.. suspendu dans un air nouveau, inconnu.
Il ose une respiration un peu plus profonde, une seconde, une troisième. C’est comme si ces allers retours respiratoires lui permettaient de goûter à ce nouvel environnement. Ses yeux ne perçoivent pas grand chose, le bruit est quasi absent. Il entre en communication avec son Inspiration, son expiration. C’est fou comme dans le plus grand chaos apparent, peuvent se montrer des facultés qui ne s’étaient jamais manifestées jusqu’alors.
Il ose quelques mouvements de son corps. Pas de douleurs, juste des crispations. Il s’invite à plus de gestes et perçoit qu’il est en Apesanteur. Quelle douce sensation de pouvoir se mouvoir sans la pression de la gravité. Cette découverte le
Réjouit . Il en oublie presque les frayeurs de sa chute... Il joue, comme un enfant, de cette nouvelle situation rocambolesque.
Il ne comprend rien et à son grand étonnement se prend au jeu, sans se noyer dans un flot de questions. Qu’il
Lui semble agréable de pénétrer ce vide créateur!
Un bruit assourdissant retentit dans ses oreilles, bruit métallique. Comme des roues grippées par le temps qui enclenchent leur mécanique.
Le corps de Yumi s’effondre à nouveau, la chute reprend son cours, rapide. L’air navigue autour de ses membres. Ses cheveux dansent au gré des mouvements.
Rien à voir avec la première fois... Après la
torpeur et la surprise, Yumi semble presque profiter de ce temps de chute. Il aime sentir le vent balayer ses membres, il apprécie la courbe qu’adopte son corps pour épouser le mouvement de la descente, à moins qu’il ne monte. L’espace semble bien étonnant ici!
Nouvel arrêt. En suspension. Silence...
il savoure ce changement de rythme, cette pause après l’action. Il s’étonne de ses réactions, de son courage inattendu. C’est incroyable comme on se rétrécit dans un canapé...
L’apesanteur est différente à cet étage. Plus confinée, plus serrée. Inspire... expire...
Inspire, quel est ce goût étonnant qui s’invite dans sa bouche? A chaque respiration, Yumi a l’impression de manger l’air. Comme des bulles qui éclateraient contre les parois de son nez et de son palais, relayés par les milliers de papilles de la langue.
Qu’est-ce donc? Des saveurs d’enfance, des goûts anciens, remplis de rires et de joies enfantines.
Yumi goûte et se nourrit de bulles d’une période qu’il avait semble t’il quittée depuis fort longtemps...
Les bulles éclatent comme un feu d’artifice et libèrent tantôt une joie naïve, tantôt un rire espiègle, ou encore un étonnement incroyable.
Elles se diffusent dans tous les interstices de son corps qui semble revigoré à chaque explosion.
Comme une fusion de ces bulles avec les cellules endormies et au ralenti.
Yumi respire amplement. Il raffole de cette sensation du vivant en lui.
C’est dingue comme une chute peut te réveiller, se dit-il ... C’est fou comme une
perte de repères et d’habitudes, comme un air nouveau t’offrent de bien belles possibilités.
Dans cet instant de présence totale, Yumi se fiche bien de la Suite. Il aime cette solitude enivrante et se moque bien d’un futur qui n’a aucune place dans cet instant.
Les chutes, à chaque fois inattendues, soudaines, semblent lui révéler de nouveaux cadeaux. Alors, il est prêt et sait qu’il s’y adaptera. Il sait qu’il porte en lui un potentiel incroyable, insoupçonné qui s’était juste assoupi...
Un nouveau bruit, une remontée rapide, à moins que ce ne soit une descente.
Ses paupières s’élancent de bas et
haut comme pour s’épousseter.
Canapé en vue, télé allumée, pieds posés sur la table basse.
Le décor est identique... Yumi, lui, n’est pas revenu indemne... Il sait maintenant qu’il peut se faire confiance et se laisser aller à la transformation.
Son corps vibre de vie et d’envies. Chut...
Un nouveau secret percé? Une chute lui aurait il permis de s’élever ?
Décidément l’espace est bien Étonnant ici bas….!