Elle est face a eux, elle écoute et observe.
Quinze jours qu’elle ne les avait pas vus, la garde alternée crée ses rythmes nouveaux, mi plein temps, mi vacants.
Ils passent chacun leur tour commande. Pizza pour l’un, hamburger frites pour l’autre.
Elle n’a pas très faim, et demande une salade César.
Elle se sent un peu fatiguée ce soir, journée intense et bien remplie .mais elle n’a pas pu, pas voulu leur dire non. Un temps avec eux deux ensemble, c’est sacré.
Alors, elle les écoute.
Elle décrypte parfois à peine ce qu’ils racontent. Cela fait plusieurs mois déjà qu’elle n’a plus réussi à comprendre leurs mots de djeuns.
Elle en aime certains, leurs sonorités chantent. D’autres lui semblent quasi imprononçables.
Elle regarde leurs gestes, leurs mimiques, leurs mouvements.
Elle écoute et se nourrit de ces instants fugaces pendant lesquels ils dévoilent un peu plus de leur vie, de leurs émotions, de leur quotidien.
Ils ont le temps, ils ont l’espace pour cela, et ils vont satisfaire leur ventre. C’est essentiel pour délier ces langues affamées .
Elle les regarde et s’étonne de cette impression d’étrangeté en elle.
Elle croit les connaître et en même temps, ces deux enfants sortis directement de son corps ont grandi et sont devenus des êtres à part entière avec des choix et des idées qui leur sont propres.
Elle se demande où sont passées certaines transmissions essentielles à son cœur, comme le respect de chacun, l’éveil à la nature, l’amour de soi.
Ils se présentent à elle avec leurs propres couleurs et certaines ne lui parlent pas du tout. D’autres semblent absentes.
Sensation étrange de les reconnaître et en même temps de les découvrir dans des valeurs qui ne sont pas les siennes.
Elle osera même se dire des valeurs qu’elle n’aime pas.
Ils ont pris le chemin vers eux-même, ont laissé de côté pour l’instant ce qui n’avait rien à faire dans leur vie et y ont intégré ce qui prenait sens pour eux.
Des décalages qui s’installent, parfois même l’idée tenace qu’on n’aime vraiment pas du tout, que cela ne prend pas sens pour nous, ne nous parle pas.
Elle savoure sa salade, ce moment malgré tout. Elle se dit qu’elle a de la chance de les avoir à ses côtés, qu’ils continuent de se raconter. Elle se moque d’eux gentiment, partage encore et encore sa vision de la vie, ses incompréhensions pour qu’ils l’éclairent de leurs points de vue, qu’ils se rencontrent au-delà des fossés.
Elle repense aussi à sa mere, à toutes ces fois où elle se demandait pourquoi elles étaient si différentes . Ses enfants ont-il ce même sentiment? Elle comprend mieux ce soir, la voilà à découvrir cette sensation en tant que maman.
Clap de fin de soirée.
Plus de bises échangées, le Covid a signé l’arrêt des câlins. Elle s’en fout, elle les attrape l’un après l’autre dans ses bras, en s’amusant de leur raideur dans cette approche improvisée. Eux se regardent complices d’une situation qu’ils refusaient.
L’humour, c’est le beurre fondu qu’elle utilise souvent pour faire passer nombre d’idées.
L’un remonte avec elle dans la voiture, l’autre ira dans la sienne.
Moment suspendu d’amour étrange. De connu et d’inconnu.
De ressemblant et de vraiment différent. C’est encore plus l’unique qui s’est invité. Tout ça est parfait.
Texte de Virginie Rabier
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